Réalisation du court métrage LES LUNETTES NOIRES avec les élèves de 5ème DEFIS du collège Sainte-Marie de Beaucamps-Ligny
Du 15 janvier au 24 juin 2021, le cinéaste et vidéaste Max René a mené un projet de résidence RESAC avec une classe 5ème du collège Sainte Marie de Beaucamps-Ligny.
Le but de cette résidence a été d’initier les élèves à la création d’un court métrage en passant par toute une série de séances de préparation allant de l’analyse d’images à l’écriture de scénario, de la découverte du matériel et des postes techniques d’une équipe au tournage du film lui-même, en terminant par une initiation aux techniques de montage et par un accompagnement du film par les élèves devant différents publics (collégiens, familles…) et dans différents lieux (collège, cinéma…).
Le film, d’une durée de 15mn, est intitulé LES LUNETTES NOIRES et s’est construit autour de la thématique NOUS POUVONS TOUS ÊTRE DES HEROS, spécialement pensée pour cette classe DEFIS (classe donnant l’occasion à des élèves en manque de confiance en eux, de participer à différents projets artistiques, sportifs, humains et scolaires lors de leur année).
Cette petite œuvre cinématographique s’est construite à partir de réflexions solides sur leur monde contemporain et leur environnement direct (harcèlement scolaire, omniprésence des images, impact des réseaux sociaux, quête de l’identité…), les élèves ont réussi à dépasser leurs craintes respectives et ont pu s’épanouir pleinement, de façon individuelle (notamment par la responsabilisation dans la manipulation du matériel technique) et collective (par la constitution d’une équipe de tournage dont tous les postes sont interdépendants).
Sur le film…
C’est l’histoire de Claire, une nouvelle élève au collège. Claire, en plus de son masque, porte des lunettes noires. Très vite, les rumeurs planent au-dessus d’elle et elle devient l’objet de toutes les attentions. Jusqu’à une forme de harcèlement de la part de nombreux élèves qui vont la pousser à retirer ses lunettes.
UNE HÉROÏNE ISOLÉE
Le film traite de la question du héro(ïne) en partant d’une héroïne ordinaire, discrète, dont le principal acte héroïque est d’avoir eu le courage de se dévoiler face aux autres, de montrer son vrai visage et de rompre avec sa honte.
Il est question donc principalement d’isolement social qui se traduit à différents niveaux dans le scénario :
Le handicap caché de Claire pour lequel on croit comprendre (notamment par la conversation avec la directrice) qu’elle en éprouve de la honte puisqu’elle ne veut pas qu’il soit visible (par le port de ses lunettes noires). Finalement, le fait de vouloir cacher son handicap va lui attirer toutes les attentions des élèves du collège et l’isoler encore plus des autres.
Les masques, ici assumés dans le film. L’action se passe à notre époque, dans notre présent de crise sanitaire. Et ces « lunettes noires » servent aussi de révélateurs à la problématique des masques dans notre société en tant que forme de censure du visage, donc de l’autre, de l’accès à l’autre, de la reconnaissance de l’autre. D’autres allusions comme le port du voile ou des vêtements trop courts sont faites pour compléter ce regard sur ce sujet très contemporain du corps caché ou dévoilé.
L’impact des réseaux sociaux sur la communication entre les personnes. On se rend compte à travers le film que les outils numériques sont omniprésents dans la vie des élèves (tablette dans la classe, webcam au CDI, téléphones partout ailleurs…). Et quand ils ne sont pas utilisés pour filmer, ils sont toujours présents comme un personnage à part entière, témoins de la vie qui passe sous le verre de leurs objectifs. Le film est donc une forme de critique de l’utilisation excessive des nouveaux outils numériques, de la gestion de l’image : de soi (par exemple : A. se sert de son téléphone pour se recoiffer au lieu d’un miroir) et des autres (par exemple : A. et C. filment Claire dans les couloirs pour accumuler des preuves contre elle), et des répercutions que cela peut avoir (harcèlement scolaire, rumeurs et fake news, addiction aux écrans…). Enfin, l’usage de l’image est souvent présenté comme négatif, tout au moins dangereux lorsqu’il est mal utilisé, utilisé contre les autres pour leur nuire.
LES PERSONNAGES
Le scénario ne comporte qu’un prénom véritable, celui de Claire. Les autres sont notés par des lettres et donc ne seront pas nommés dans le film. Le but étant d’accorder au personnage de Claire une place centrale, une identité propre alors même qu’elle reste un mystère aux yeux des autres. Ces autres élèves qui deviennent des révélateurs de ce qu’elle cache (son handicap) et qui elle est vraiment (une élève comme les autres, juste honteuse de son handicap et terrifiée d’être rejetée).
De plus, le prénom Claire rappelle, dans l’art et la spiritualité, à la notion de lumière et de vision (clairvoyance, claire-lumière, etc.). De même, les aveugles sont bien souvent, dans l’histoire de la littérature, des personnes aux capacités exceptionnelles, capables de voir au-delà de la réalité.
LA REALISATION
Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un faux documentaire, le film en reprend une série de codes : caméras portées/embarquées, caméras diégétiques (présentes dans l’action du film), fausse interview (de Claire par A. et B.), etc.
Au niveau de la réalisation, toutes les séquences sont réalisées à partir du point de vue d’un objectif intégré à un appareil susceptible de filmer (téléphone, tablette, 3DS, webcam…). Et même si ces appareils n’enregistrent pas nécessairement dans la réalité du film au moment où ça se produit, la présence de cet objectif suffit à justifier l’existence de l’image. En bref, partout où il y a des appareils capables de filmer, le spectateur a accès à ce qu’il se passe.
LA FIN
Finalement, sous la pression des autres, excédée, Claire va dévoiler son visage. Ce geste, fait avec force et colère, lui permet également de libérer toute la tension qu’elle gardait en elle et de parler avec franchise à tous ceux qui la regardent. Le dévoilement, la libération, est donc multiple : physique, psychologique, émotionnelle… Et cela se propage aux autres puisque c’est A. qui va s’approcher de Claire la première et enterrer le harcèlement mené contre elle jusqu’alors. Sa curiosité (pour son œil de verre) dépassant désormais toute autre considération, la rencontre devient possible. En un clin d’œil, Claire passe donc du statut d’objet du mépris à celui de la fascination. Cela montre bien que l’avis que nous nous faisons du monde et des autres n’est qu’une question de point de vue, un point de vue qu’il nous suffit de changer, et d’accorder à notre curiosité.
Max René -Alphafilms